[Article invité] Le talent et la grâce réunis : Pépita Grando

Table des matières

Pépita Grando fait partie de ces artistes qui retiennent l’attention, j’ai découvert son univers artistique lorsqu’elle a eu la gentillesse de partager son travail et ses compétences avec les membres du groupe de mains dans la terre, sa générosité a tout de suite fait l’unanimité. C’est pour cela que je suis heureuse de mettre en avant son merveilleux univers, c’est un cadeau rare et unique que nous fait Pépita, tenez-vous prêt à en prendre plein les yeux et le cœur.

Pépita Grando

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Qu’est-ce qui vous a amené au modelage de l’argile

Je viens des métiers du soin, n’ayant pas été autorisée à faire des études artistiques, dans mon jeune temps.

Cependant, j’ai longtemps été en quête de moyens d’expression, et expérimenté de manière autodidacte, divers médiums, dont les pastels à l’huile.

Outre leurs merveilleuses couleurs, et textures, le coté tactile qu’ils m’offraient au cours d’une réalisation, me séduisait particulièrement.

Puis, il y a eu un temps de rupture dans mon besoin d’expression artistique, happée par la reprise d’études, pour évoluer dans un projet professionnel.

Sans que je m’y attende, c’est un petit morceau d’argile que le hasard a mis dans mes mains un jour d’été, qui est venu m’interpeler, par la fascination qu’il a provoquée en moi.

Ce jour-là, mes mains se sont mises au travail, sans ma tête, durant quelques heures avec une très spéciale frénésie. J’étais entre deux mondes.

Puis ce n’est que plus tard, que le déclic c’est fait et que j’ai commencé personnellement « Mes rendez-vous d’Argile ».

D’abord de manière autodidacte, entre coupée de quelques petits stages… jusqu’à ce que je décide de quitter mon métier, pour m’inscrire dans un Institut des Métiers d’Art et de l’Artisanat (IMARA).  J’ai passé plusieurs mois en immersion chez une sculptrice Sophie Gâteau, et, en suivant, six ou sept mois de plus, à temps plein, chez un potier local.

Un complément nécessaire pour une meilleure connaissance des diverses argiles, aborder la fabrication et l’utilisation des émaux, maîtriser mes cuissons, etc…

Un autre univers, passionnant et très vaste, mais j’ai vite compris que je devais choisir, car c’est réellement le modelage qui m’appelait.

Pepita Grando

Votre univers artistique est unique, avec une orientation asiatique. Il y a une raison à cela ?

Il y en aurait plusieurs, en réalité. J’ai toujours eu une curiosité pour les cultures de ce monde, et l’évolution de l’individu au cours de sa vie. Chaque ethnie recèle à mon sens des trésors de sagesse.

Très tôt je me suis sentie attirée par certaines philosophies orientale et asiatiques, comme une sorte de quête humaniste. Et, comme par hasard, mon travail de fin d’étude, fût un Sumotori de cinquante centimètres. Sans avoir pris le temps d’y réfléchi, il était question de faire une sculpture d’athlète, et, je me suis entendu dire que j’allais faire un Sumo.

Un défi que j’ai assumé avec bonheur.

J’ignorais, qu’il m’apporterait en 2016 mon premier Prix du Public lors du Salon d’Automne de Castelsarrasin.

Pepita Grando

Qu’est-ce qui vous inspire ?

D’abord plutôt attirée par l’expressivité de portraits, je me laisse, aujourd’hui volontiers guider par ce que me proposent mes rêves, de sorte que mon travail se modifie, devient plus intuitif, souvent symbolique, métaphorique et teinté d’une intime poésie.

Mes thèmes de prédilection sont souvent centrés sur les beautés de la nature, parfois l’enfance, et le féminin, car ils incarnent pour moi, une dimension sacrée, et créatrice, une énergie qui s’exprime à mon sens, dans une tridimensionnalité : terrestre, métaphysique et cosmique.

Pepita Grando

 

 

Avez-vous une terre de prédilection ?

J’aime expérimenter, jouer, chercher, et me servir des contrastes et caractères de différentes argiles. Notamment de la rugosité et de la plasticité d’un grès noir, comme une évocation des forces telluriques…et la capricieuse délicatesse de la porcelaine, qui m’invite, de par sa laiteuse pureté, à l’élévation. Je ne m’en sers pas pour les mêmes types de créations, mais il m’arrive de les marier parfois dans des pièces composées.

A titre d’exemple « la Forêt de Porcelaines » une œuvre mixte et unique,  qui m’a valu aussi, un Premier Prix de sculpture sur le thème de l’empreinte, remis par la Ville d’Agen en 2018.

Pepita Grando

Partez-vous d’une esquisse, en sachant où vous allez ? ou seulement de votre pain de terre de façon intuitive ?

Il y a quelques années je dessinais davantage mes projets sur des carnets. Beaucoup de croquis sont restés dans leur page. Aujourd’hui sauf cas particulier, je pars plus directement d’un pain de terre.

Mes précédents métiers m’ont amené des connaissances anatomiques qui reviennent d’instinct, ainsi qu’un sens de l’observation, qui continue de trouver toute son utilité.

Qu’est-ce qui déclenche la naissance d’une sculpture ?

J’ai parfois des impressions et rêves récurrents, pas toujours très précis et paradoxalement très présents. Ils demandent à prendre forme et vie, et je ne sais pas toujours à l’avance où ils m’amèneront. C’est pour cela que je ne refais jamais le même travail. Chaque pièce est unique. « On ne se baigne jamais deux fois dans la même eau d’un fleuve ».

Souvent, je nourris mon imaginaire d’observations, de lectures, contes et légendes, qui peuvent devenir le cœur et le sens d’une création, qui se susurre à mon oreille.

Parfois une image sur laquelle j’ai pu m’arrêter, peut refaire surface, me revenir en mémoire, et créer une impulsion créatrice, avec une part d’interprétation personnelle, et l’empreinte du moment.

Nous sommes sans cesse nourris de tellement de choses.

Il m’arrive de travailler en plein par ajout ou retrait de matière, souvent à la plaque.

Je grave aussi et découpe des motifs (sortes de zentangles) à main levée, sur les parois de certaines sculptures, et/ou j’utilise des techniques de pastillages, notamment pour des thèmes floraux. J’aime ce temps de patience qui ne correspond pas à la vitesse que nous impose cette société.

Des mots émergent et dansent aussi parfois dans ma tête, accompagnant les temps d’une réalisation, et c’est ainsi que naissent parfois les titres de mes créations.

Avez-vous un message à faire passer à travers votre art ?

Vous dites « faire passer », et, en effet, je crois que dans son engagement, tout artiste est, à sa manière, un passeur.

Alors oui, par-delà les mots, avec les vécus et expériences ainsi que les petits et grands morceaux d’âme déposés, tels une empreinte, mon langage créatif, évoque l’impermanence des situations, des émotions, des êtres et des choses.

J’évoque les métamorphoses qu’opèrent en nous, à l’infini, les cycles de la vie.

Et, tel un possible message d’espoir, les merveilleuses capacités résilientes de la Nature dont nous sommes également pétris.

« Le modelage est pour moi, une fascinante invitation au voyage, au cœur des mémoires et du temps, et, l’argile, un terrain fertile pour dire, exprimer ce qui participe à construire et ensemencer notre intériorité »

Quels sont vos rêves les plus fous ?

Les rêves fous sont souvent utopiques.

J’aimerai avoir la chance de pouvoir continuer longtemps à honorer mes « rendez-vous d’argile », et je rêverais volontiers de journées plus longues, car je travaille toujours avec un sentiment d’urgence, comme si, ce qu’il me reste de vie était, de toute évidence, insuffisant.

Et, très naïvement, je ferais volontiers le souhait de voir grandir, en ce monde, une plus grande conscience et respect du vivant…mais je reconnais qu’il s’agit là d’une projection de mon propre besoin de calme et d’harmonie qui s’exprime.

Les violences et barbaries me touchent intensément, et heurtent ma sensibilité, autant que le manque d’éthique, de bienveillance, et de générosité du cœur.

Le monde dans lequel nous faisons notre parcours de vie, nous offre des merveilles, mais il a aussi de terribles rudesses.

Tout excès, fait par ailleurs naître des carences, et donc des besoins de changements…

Alors, je me dis que, cette part sombre de notre condition, pourrait peut-être, donner sens et élan à de plus nobles quête ? … Je crois bien qu’il est là, mon rêve le plus fou.

J’aurais encore mille choses à dire et partager…mais ce serait bien long.

Après ces mots si forts et si doux, Pépita nous offre d’illustrer son propos en nous faisant découvrir son univers et son processus créatif à travers l’histoire de la naissance d’un œuvre originale en quatre parties.

Naissance d’une œuvre singulière en quatre parties

Les cycles de vies et des saisons

Tout a commencé par un rêve, comme cela peut m’arriver parfois, et mon esprit est resté marqué, plusieurs jours durant, par ces quatre silhouettes noires et blanches, positionnées par ordre de grandeur, simples et dépouillées comme une page à écrire…

Regardant dans la même direction, leur visage humblement et gracieusement penchés.

Quatre présences fortes et douces, empreintes de mystère.

Une invitation claire à prendre un pain d’argile noire, telle une terre fertile, un peu rugueuse, mais d’une douce plasticité…afin de répondre à cette insistante injonction.

Chacun, construit en vide, à l’aide de plaques, a été une surprise, et, je me suis laissée guider…jusqu’à oser, l’inimaginable pour moi : vous le remarquerez plus tard, au terme de ce voyage.

Des découpes patientes, sont parfois venu agrémenter et parfaire leurs décors.

Chacune de ces sculptures est arrivée en son temps, avec ses messages.

Alors, pourquoi le japon ? …Eh bien, pour quelqu’un qui comme moi, créait des sumotoris…ceci m’a paru d’une limpide évidence.

Il me faudra préciser, qu’il ne s’agit en rien du Japon tel que nous le connaissons ; mais uniquement du prolongement d’un rêve, une sorte d’allégorie, langage métaphorique, qui au cours des jours a pris corps et sens.

Ces quatre sculptures , composent une seule et même œuvre unique, pièce maîtresse pour moi, et de collection.

Si vous aimez les histoires, celles-ci, peut-être, captiveront-elles momentanément votre attention.

Pepita Grando
Haru – le Printemps

Modelée dans un grès noir, argile de caractère, cette première petite sculpture de genre indéfini, c’est présentée sous mes doigts, pour marquer le début de cette série de quatre, devenue « Les cycles de vie et des saisons ».

Dans toute sa simplicité, et son aspect de jeunesse, elle a souhaité être drapée, de tissus de mailles légères, imprégnés d’une barbotine d’argile. Plus tard recouverts d’engobes doucement colorées, additionnés d’un fondant, pour une meilleure accroche.

Ce grès absorbant les couleurs, dès que l’on aborde les hautes températures,  pour l’effet final, plusieurs reprises d’émail et de cuissons auront été nécessaires.

En cours d’élaboration, je n’ai pas résisté à l’envie de déposer sur sa tête, papillons et fleurs de cerisier… Haru venait au monde dans toute son évidence.

Les papillons m’évoquaient l’ascendance des forces du vivant, et des sèves, venant chercher, au cœur des tendres pousses, les caresses tièdes du soleil, dans le monde de la manifestation.

J’ai alors réalisé, que tous les ans, au printemps, les japonais célèbrent Hamani, la fête des cerisiers Sakura en fleur. Quelle merveille !…

Elégants, d’une splendeur à couper le souffle, ces arbres sèment au vent leurs pétales, et parsèment l’air de flocons délicats. Une courte période de deux semaines, qui invite à la contemplation et à la sérénité…mais aussi, à se souvenir de combien la vie est belle, mais éphémère, et, le bonheur fugitif.

Il convient donc, de prendre le temps de le savourer.

Haru, est ainsi devenu l’ambassadeur de cette allégorie japonisante.

« Sous les fleurs de cerisiers grouille et fourmille l’humanité »
Haïku de Kobayashi Issa

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Papita Grando
Natsu : l’été

Un peu plus tard, j’étais prête pour recevoir Natsu.

Quelle douce et foisonnante surprise !

Avec lui, je me suis connectée à une essentielle et méditative patience.  Le grès blanc choisi, également une argile à chamotte moyenne, tout aussi plastique que la précédente, prendrait, en cuisson de grand feu, une douce et idéale couleur beige dorée.

Natsu, est venu sous l’aspect d’un homme jeune, aux traits purs, et d’apparence monacale.

Tout en lui, m’a inspiré un chemin vers l’ouverture et l’élévation.

D’abord, ces oiseaux en vol, au-dessus d’un grand soleil.

Puis, je me suis mise, pétale par pétale, selon la technique du pastillage, à confectionner sur son torse, des lotus géants. Grandes plantes qui permettent à leur fleur et leur fruit, d’éclore hors de l’eau.

Ainsi, dans la pensée bouddhiste, ce lotus, dit sacré, puise par ses racines et ses longues tiges, dans la boue des souffrances obscures et des troubles, le terreau même, de nôtre possible épanouissement et  la maturité de l’esprit…autant dire, un patient processus vers la transformation.

Naturellement, des grues, aimant les étendues humides, messagères de longévité et de bonne fortune, se sont invitées, dans cette forêt découpée, de longues tiges végétales. Leurs larges ailes blanches, perçues comme un moyen de porter chacun vers un niveau plus élevé de spiritualité.

« Le cœur de la fleur le cœur de l’homme et le cœur universel  ne font qu’un » – L.Herigel  – Extrait de la vie des fleurs

Pepita Grando
dAki, l’automne

En alternance, le choix de l’argile pour Aki, me fait revenir sur du grès noir, comme dans mon rêve. De stature plus importante que mes deux précédents invités, la notion du temps qui prend forme et se précise.

Voici venir un homme d’âge mûr aux portes de cette réalisation.

Plus affirmé, encore jeune, mais mature… je remarque, que sans l’avoir vraiment voulu, ses yeux sont plus ouverts sur le monde, sa présence plus forte. Il semble réellement enraciné.

C’était effectivement l’automne, et, ô surprise, un de mes élèves vint à m’offrir des feuilles toutes dorées, et tombées au sol, d’un Ginko Biloba qui réside dans l’un des parcs de la ville…et dont j’ignorais l’existence.

On le dit arbre sacré d’Orient, dit immortel, car insensible aux maladies, il n’a aucun prédateur, à part l’homme, les aléas climatiques et telluriques.

Les prêtres bouddhistes le plantent aux alentours des temples et pagodes pour ses vertus protectrices, et ses capacités à conjurer le feu. Il est également vénéré pour sa longévité, considéré comme l’arbre de vie, et, il est devenu le symbole de la ville de Tokyo.

Cet arbre « aux mille écus », ressenti comme symbole d’amour, et d’unité des opposés, également signe de sérénité et de tranquillité, et, que je connaissais pour ses vertus médicinales, est ainsi venu m’accompagner dans cette gestation créative.

Était-il, aussi, en train de me dire (par-delà, tout ce que viens d’évoquer), d’avoir confiance dans nos capacités de réparation, tout comme sait le faire notre Mère Nature, dont nous faisons partie intégrante ? Me disait-il que la maturité participe à l’embellissement de l’âme ?

Des feuilles bilobées, (d’où son nom) dorées comme un soleil d’automne, sont ainsi venues, une à une, prendre leur place, pour soutenir sa présence, et ses messages d’espoir.

Chacune, patiemment recouvertes d’engobes différentes sur les deux faces, en plusieurs couches, et surplombant une forêt de tiges entrelacées et découpée sur l’ensemble de sa base. Plusieurs cuissons furent nécessaires pour obtenir cet effet coloré.

Pour finir, plus tard, j’ai fabriqué avec du laiton et des perles de métal, ses bijoux de tête, qui ne sont pas visibles sur la photo.

« Le grand jour blanc me dénude l’âme. Feuilles d’automne » – Haïku de Matsuo Basho

Pepita Grando
Fuyu, l’hiver

Fuyu, s’est faite attendre, car mon esprit, dans les méandres du quotidien, ne lui offrait pas l’espace nécessaire, pour quelle vienne sereinement à moi.

J’ai repris mon grès blanc, pour installer les volumes à partir desquels, elle devait prendre forme. Je la ressentais présente, mais il y avait un inconfortable frein, qui m’obligeait à patienter…jusqu’à ce que, au cours de mes lectures, je tombe sur la légende japonaise de Yuki Onna : La femme de la neige.

Indéniablement, j’ai su, qu’elle m’inspirerait enfin. C’est ainsi qu’une idée saugrenue, et risquée, s’est imposée à moi, me faisant enlever, ce que j’avais installé depuis quelques temps et qui me laissait désespérément insatisfaite…pour revêtir ma sculpture de porcelaine, censée évoquer le froid, la blanche rigueur et le morcellement glaciaire. Je n’ignorai pas que ces deux argiles, feraient conflit, et que je devrais exploiter l’accident, et l’éclatement tel qu’il viendrait.

Je devais me confronter au dépassement d’une possible peur égotique de perdre le fruit d’un travail, d’altérer la beauté d’une œuvre presque réalisée…et peut-être aussi, la crainte fantomatique, d’être incomprise et jugée.

C’est alors que la lumière s’est faite, et que je me suis mise à penser, que nous arrivons au bout des cycles de nos existences avec « le costume » des tourmentes et déchirures, qui ont jalonné nos multiples traversées… mais aussi, avec l’âme embellie par les beautés de nos résiliences.  Le relais avec Aki s’était fait. Les fractures tant physiques qu’émotionnelles, se réparent.

Eclairés par la conscience, il est possible de transcender l’épreuve, au profit d’une ouverture et d’une maturité de l’esprit.

En m’appuyant sur la pratique du « kintsugi » japonais, mais de manière non traditionnelle, (car on ne peut agir qu’avec ce que l’on a), je me suis mise, comme dans la vie, à restaurer patiemment, certaines cassures, pour y déposer une lumière dorée.

Fuyu était née.

« Là, tout simplement Sous la neige qui tombe » Haïku de Kobayashi Issa

Prenez tout votre temps pour quitter l’univers de Pépita, le retour au réel peut être rude, mais une certitude, à la fin de cette lecture vous avez touché au talent et à la grâce.

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